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Ce qu'il faut savoir pour un nudging efficace auprès des clients

Vouloir mais ne pas pouvoir, c'est typiquement humain, non ? Bien souvent, nous avons exactement besoin d'un petit coup de pouce pour manger plus sainement, conduire plus prudemment ou respecter davantage l'environnement. Denise de Ridder, professeure de psychologie à l'Université d'Utrecht, étudie les possibilités et limites du nudging. Elle explique aussi comment votre organisation peut utiliser le nudging pour inciter les clients à faire de meilleurs choix.

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Une question de paresse et de tentations

Pourquoi les gens prennent-ils des décisions qui ne sont en réalité pas bonnes pour eux ?

La plupart des gens aimeraient faire de meilleurs choix, en particulier pour leur santé. Pensez à nos bonnes intentions et aux objectifs que nous nous fixons. Mais seulement une partie aboutit au comportement souhaité.Ce gap entre les intentions et le comportement peut s'expliquer par une certaine forme de paresse, un manque de volonté et une absence de préparation aux tentations…

Des lacunes humaines qui nous détournent de nos projets. L'influence du contexte ne peut pas non plus être sous-estimée. Vous aurez beau avoir les meilleures intentions de manger sainement, si toute la ville est remplie de snack-bars et que les supermarchés sont pleins de nourriture transformée, le contexte n'aidera pas.

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Denise de Ridder, professeure de psychologie à l'Université d'Utrecht.

Allusions subtiles au moment suprême

Comment créer alors un contexte favorisant de meilleurs choix ?

Il existe différentes manières d'induire un changement de comportement. D'un côté du spectre, il y a le principe que notre comportement relève de notre propre responsabilité. L'individu décide et a toujours le choix. À l'autre extrémité, le comportement souhaité peut être réglementé en imposant par exemple une taxe sur les graisses ou en interdisant les snacks à proximité des écoles. Entre les deux, les gens sont toujours libres de choisir, mais on rend le choix plus facile.

« Glisser des allusions subtiles dans le contexte où la décision est prise, c'est ça le nudging ».

Une manière consiste à informer. Une autre réside dans le nudging. Cela revient à glisser des allusions subtiles dans le contexte où la décision est prise. En vous rappelant votre bonne intention ou en mettant en évidence l'option la plus saine, les nudges vous orienteront vers le meilleur choix.

La force des nudges est que, contrairement aux informations, ils sont présents activement au moment même où vous faites un choix et contribuent ainsi à combler le fossé entre les intentions et le comportement. Grâce à ce petit coup de pouce, vous faites ce que vous vouliez faire alors que vous n'y pensiez plus au moment suprême.

Petit truc astucieux ou manipulation ?

Pourtant, tout le monde n'aime pas forcément le nudging. Comment cela se fait-il ?

En 2008, est paru le livre « Nudge – La méthode douce pour inspirer les bonnes décisions », coécrit par le prix Nobel d'économie Richard Thaler et Cass Sunstein. Dans ce best-seller, les auteurs partent de l'idée que les gens ne décident pas de manière rationnelle.

De ce point de vue, le nudging est, pour ses partisans, une astuce pratique pour contourner les limites des capacités cognitives. Mais pour ses opposants, il s'agit ni plus ni moins d'une façon de manipuler les gens. Ils peuvent concevoir que des organisations commerciales utilisent le « nudging » dans leur marketing, mais si c'est un gouvernement qui y a recours, cela revient alors selon eux à du marketing.

Cette critique à l'encontre du nudging est-elle justifiée selon vous ?

Après de nombreuses études, nous savons aujourd'hui que les « nudges » sont moins « sournois » et « manipulateurs » qu'on le pensait. Les nudges fonctionnent en fait aussi tout simplement lorsque les gens sont encouragés à bien réfléchir sur leur choix. Ou quand vous leur expliquez exactement quel « nudge » vous utilisez. Si vous dites par exemple « nous vous aidons à faire un choix sain » ou « nous vous montrons ce que les autres choisissent parce que nous savons que les gens aiment se conformer à la norme sociale », votre nudge deviendra transparent, mais pas moins efficace pour autant.

Potentiel et limites des nudges

Le nudging fonctionne-t-il à tous les coups et sur tout le monde ?

D'après nos études sur l'effet des nudges dans les choix en matière de santé, les nudges n'apporteront aucune valeur ajoutée si vous ne vous souciez pas de votre santé, ou si vous avez déjà un mode de vie sain.

« Les nudges n'apporteront aucune valeur ajoutée si vous ne vous souciez pas de votre santé. »

Dans le cadre d'une autre étude, nous avons étudié l'effet du « nudge central », qui joue sur la tendance à choisir l'option médiane, lisez l'option la plus sûre et la moins extrême. Dans l'expérience, le nudge consistait à proposer aux participants un grand, un moyen et un petit verre de boisson gazeuse, le plus petit se trouvant au milieu. En agissant de la sorte, vous encouragez le choix le moins mauvais pour la santé. Il y a deux situations où le nudging s'est avéré moins efficace.

Les consommateurs menant déjà une vie saine ont dans tous les cas opté pour le plus petit verre. Et les gens qui avaient très soif ont pris le plus grand. Cette expérience prouve également que les nudges n'induisent pas autant en erreur que les critiques le prétendent. Les gens font appel aussi à leurs capacités cognitives pour choisir. Leurs propres préférences influencent également leur réactivité aux nudges. Et je trouve que c'est un point très positif : aussi sain soit le choix, les nudges ne nous forcent pas à faire quelque chose que nous ne voulons vraiment pas.

Vous avez aussi fait une étude aux Pays-Bas sur la manière dont les gens réagissent aux nudges lorsqu'ils s'inscrivent pour le don d'organes.

Cette étude a été réalisée alors qu'un débat faisait rage dans tout le pays sur l'enregistrement par défaut avec option de rétractation. Proposer des options par défaut représente un nudge puissant. Nous avons donc étudié comment les gens y réagissaient et les résultats se sont avérés globalement positifs : tout le monde se sentait compétent pour prendre une décision, était satisfait de son choix et n'avait pas de problème avec le nudge. Excepté une très petite minorité.

« Le nudging n'a aucune valeur ajoutée dans le cadre de questions sensibles comme la vaccination ou le don d'organes, pour lesquels le débat fait rage. »

En réalité, ces gens avaient de toute façon du mal à faire un choix face à cette question controversée. Il est apparu qu'il s'agissait de personnes se situant plutôt dans le bas de la société et ne maîtrisant pas totalement le numérique. On aurait pu penser que le nudging allait les aider à prendre une décision mais c'est exactement l'inverse qui s'est produit. Ce genre de choix les perturbe dans tous les cas et le petit coup de pouce supplémentaire qu'ils reçoivent leur est très désagréable. Cela les confronte trop durement au fait qu'ils ne savent pas choisir.

Nous avons du reste observé le même phénomène dans les études sur les vaccins anti-Covid. Des études américaines avaient déjà montré que les « nudges » rendant l'appel à la vaccination très personnel – du genre « votre vaccin est prêt, nous vous attendons » – fonctionnaient mieux que les récompenses financières. Une bonne nouvelle en soi, mais nos recherches ont une nouvelle fois montré que les incitations à la vaccination n'étaient finalement pas si efficaces que cela. Elles n'ont ainsi eu aucune influence sur les 60 % de répondants qui étaient déjà très convaincus de leur choix : ceux qui étaient contre la vaccination n'ont pas été convaincus par le coup de pouce de revoir leur point de vue. Les nudges n'ont pas davantage contribué à convaincre les sceptiques. Il s'agissait à nouveau de personnes totalement perdues face à toutes les informations sur la vaccination et les absurdités qui leur parvenaient.

À vrai dire, le nudge est arrivé trop tard dans ce cas. Le débat était déjà devenu bien trop complexe. La conclusion que j'en tire est que le nudging n'apporte que peu voire pas du tout de valeur ajoutée pour des questions sensibles comme la vaccination ou le don d'organes, où le débat fait rage. Nous devons au moins voir comment cela se passe avec les personnes qui ont du mal à faire des choix.

Les nudges qui ont de l'avenir

Nous avons parlé des limites du nudging, mais existe-t-il aussi des facteurs qui peuvent en renforcer l'effet ?

Avant toute chose, disons que le terme « nudging » est souvent utilisé à tort et à travers. N'importe quel autocollant ou porte-clés amusant est appelé « nudge ». Quand on ne suggère pas tout simplement de rendre les choix plus amusants grâce à la gamification.Je n'y crois pas. Je suis aussi assez sceptique par rapport à la combinaison entre le nudging et l'incitation financière. Les gens s'y habituent très vite et l'effet est donc de courte durée. Il est toutefois important de veiller à ce que le choix que vous stimulez soit financièrement abordable pour les gens. Encourager des habitudes alimentaires saines n'aura aucun sens si la nourriture saine coûte plus cher que les alternatives moins saines. Qu'est-ce qui fonctionne selon moi ? Le fait de rendre le choix souhaitable standard (par défaut), accrocheur ou le nommer comme étant la norme sociale. Pour moi, ce sont encore les nudges les plus puissants.

Je vois aussi trois manières prometteuses de développer encore les nudges. Premièrement, un nudge aura un effet plus long si vous y associez un moment d'apprentissage. Les nudges qui aident les gens à mieux comprendre leur choix deviennent alors des boosts. Une solution similaire, et intéressante sur le plan éthique, consiste à inviter explicitement les gens à envisager toutes les options au moment de faire leur choix. Un tel nudge passera alors moins pour un gadget ou pour de la condescendance. Et troisièmement, la mise en évidence de l'impact collectif des choix peut être utile dans le cadre du nudging. Les gens ont encore souvent tendance à penser : « qu'est-ce que ça changera si je décide de prendre le vélo plus souvent ? » Si on confirme que leur choix contribuera à l'intérêt collectif et qu'ils peuvent contribuer au changement avec d'autres, cela leur donnera souvent une motivation supplémentaire.

Le nudging et les organisations commerciales

Dans quels domaines le nudging est-il surtout utilisé ?

Les nudges sont souvent utilisés lorsque les gens doivent faire des choix en matière de santé, de finances et de durabilité. En Angleterre par exemple, des « nudges » sont utilisés pour encourager les contribuables à remplir leur déclaration d'impôt à temps. Dans les supermarchés et les cantines scolaires, ils doivent encourager des habitudes alimentaires saines. Les assureurs santé misent aussi sur la promotion de choix sains et proposent des applications santé ou des programmes d'arrêt du tabac. (ndlr. Découvrez aussi comment les mutualités misent sur la prévention santé). Mais stimuler directement les clients à travers le nudging – du moins dans le cadre de la prévention – est selon moi plus difficile pour eux dans la mesure où ils ne sont pas présents au moment où le client fait ses choix. Les assureurs pourraient éventuellement mettre en place des écosystèmes à cet effet, pour stimuler leurs clients en collaboration avec des partenaires.

 

Le nudging dans le cadre de la prévention n'est pas la seule option pour les assureurs. Découvrez dans cet article de McKinsey d'autres domaines dans lesquels les assureurs pratiquent le nudging.

 

Quelles possibilités voyez-vous en général pour les organisations commerciales d'intégrer le nudging dans la conception de leurs produits ?

Le nudging doit se faire par définition dans l'intérêt du consommateur, du client ou du patient. Nous ne pouvons pas perdre de vue ce principe de base. Si les organisations commerciales pratiquent le nudging, le but est qu'elles pensent à l'intérêt du client et pas seulement à leur propre gain. On parle souvent dans ce cas d'entrepreneuriat social, mais la frontière est ténue.

Prenez l'exemple de mon fournisseur de café en ligne qui m'incite à commander dix tasses de plus parce que c'est meilleur pour l'environnement en termes de transport. En tant que consommatrice avertie, je me demanderai toujours si c'est vraiment mieux ou s'il ne s'agit pas simplement d'un stratagème pour vendre plus de café. Cela étant dit, je n'ai pas forcément quelque chose contre ce type de nudges. S'ils servent un intérêt général ET si cela ne se fait pas au détriment du client, alors je pense qu'il est intéressant pour les entreprises d'y investir.

Où voyez-vous le plus grand potentiel pour le nudging ?

Je suis convaincue que les nudges peuvent aider les consommateurs à faire des choix plus durables. Le risque dans ce cas est toutefois de faire porter la responsabilité sur les seuls citoyens. Il faut savoir que le nudging est né aux États-Unis, le pays de la liberté, où les gens sont libres de prendre une pension et une assurance maladie. Pour les autorités américaines, les nudges étaient le seul moyen d'interférer dans les choix de leurs citoyens.

En Europe, le contexte est différent. Ici, nous trouvons normal de payer les cotisations obligatoires pour la retraite et l'assurance maladie. Nous n'avons pas à prendre cette responsabilité en tant qu'individus. On a du mal à imaginer ce qui se passerait si les gens devaient décider eux-mêmes de ces choses. Même chose pour la problématique climatique, qui est trop vaste et trop complexe pour être laissée aux seuls citoyens. Les gouvernements peuvent bien encourager un peu les choix durables, mais il est important qu'ils adoptent eux-mêmes des positions claires. Les nudges pour inciter les consommateurs à manger moins de viande ne serviront pas à grand-chose si l'industrie agroalimentaire et le gouvernement ne posent pas des choix forts.

« La plupart des gens veulent faire de meilleurs choix. Mais le fossé entre la volonté et le passage à l'acte est grand. Les nudges sont des allusions subtiles qui, au moment suprême, nous aident à faire concrètement ce que l'on voulait faire. »

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