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Équipes sous (sans) tension

Énergie (n.f.) : 1 force, vitalité physique, capacité à effectuer un travail ; 2 énergie vitale ; = résilience, résistance. Chaque équipe a en elle une certaine énergie. Quant à savoir si cela rend aussi l'équipe en question efficace, c'est une autre question. Qu'en est-il de l'énergie au sein des équipes ? C'est ce que nous avons voulu savoir pour vous avec deux spécialistes.

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Qui ne connaît pas une équipe qui collectionne les succès, émet en permanence des idées incroyables et, pour couronner le tout, s'entend parfaitement ? Ou, à l'inverse, qui ne connaît pas une équipe qui n'est jamais prête et où règnent méfiance et frustrations ? Comment se fait-il que tout tourne parfaitement dans une équipe et que rien ne marche dans une autre ?

Pourquoi travailler en équipe ?

Commençons par nous demander pourquoi nous devons travailler en équipe. Ne serait-il pas beaucoup plus simple et efficace de tout faire seul dans son coin ? Toon Torbeyns n'est pas de cet avis. « L'être humain est programmé pour vivre et travailler en groupe. Dans la savane, nos ancêtres avaient deux fois plus de chances de survivre à l'attaque d'un prédateur affamé quand ils étaient deux. Et en groupe, leurs chances de survie étaient encore plus grandes. Cette expérience est ancrée dans nos gènes. Nous nous sentons du reste reconnus lorsque nous faisons partie d'un groupe social - un besoin fondamental - et cela nous encourage à réaliser nos rêves. Donc oui, travailler en équipe est important pour l'être humain. »

 

Équipe zombie

Si le travail en équipe est encore rarement une vraie stratégie de survie, le fait d'appartenir à un groupe offre aussi à l'être humain moderne une certaine forme de reconnaissance. Cela l'encourage aussi à se démarquer, lisez à être performant. Comment se fait-il alors que le travail en équipe ne soit pas toujours couronné de succès ?

Pour le savoir, il faut d'abord connaître les différents types d'énergie pouvant être présents dans une équipe et leur impact sur le fonctionnement de l'équipe. Selon le comportementaliste néerlandais Hans van der Loo*, les performances d'une équipe dépendent uniquement de l'intensité et de la qualité de l'énergie qui y règne. Ces deux dimensions détermineront si une équipe fournira des performances de qualité (zone d'envie), se trouvera constamment sous haute tension (hyperzone), se sentira bien dans le statu quo (zone de confort) ou sera tout simplement apathique (zone zombie).


D'aucuns considèrent souvent qu'une forte charge de travail (demands) tue dans l'œuf l'énergie positive d'une équipe. C'est plus complexe que ça, selon Toon Torbeyns. « La marge dont vous bénéficiez pour organiser vous-même le travail (control) et la manière dont vous vous sentez soutenu par vos collègues (support) influencent également les performances de l'équipe. Un emploi exigeant avec une grande liberté créera ainsi plus de motivation et de créativité intrinsèques qu'un job avec la même liberté mais peu exigeant. »

 

Qu'en est-il des équipes au sein des entreprises belges ?

La crise économique a obligé beaucoup de sociétés à employer des collaborateurs de la manière la plus efficace possible. Mais avec la reprise de l'économie, les gens et les équipes sont sous pression. On leur demande en outre d'être plus flexibles, plus orientés clients et plus innovants, alors que la structure de leur organisation représente plus souvent un frein qu'un élément de facilitation. Toon Torbeyns : « 45 %** des gens ayant des jobs exigeants avec beaucoup de possibilités d'autonomie – de bonnes conditions normalement pour des équipes dynamiques – n'ont plus de « tampon » contre le stress au travail du fait qu'ils sont soumis trop intensivement et trop longtemps à une trop forte charge de travail. Et la situation est encore bien pire dans des organisations ne disposant pas de structures adaptées en fonction des exigences du marché. Les batteries de l'équipe sont alors vides et l'énergie positive se transforme en énergie négative, voire corrosive. » La question est donc : comment retrouver cette énergie positive et la maintenir au sein d'une équipe ?

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Toon Torbeyns

Imputer toute la responsabilité de l'échec d'une équipe à l'individu est trop facile. 

Toon Torbeyns, de Ginkgo Consulting, a une approche des équipes selon deux angles : les membres qui la composent (perspective psychologique) et le contexte dans lequel ils travaillent (perspective sociologique).

Co-consultant & Co-partner de Ginkgo Consulting – Sioo Faculty – chargé de cours pratiques auprès du département Work & Organizational Psychology à la VUB

« En cas de problème dans une équipe, on a souvent tendance à accuser l'individu :  c'est la faute des travailleurs, entend-on alors, qui ne sont pas assez compétents pour travailler en équipe. On oublie dans ce cas que le contexte, l'organisation dans laquelle l'équipe opère et le leadership influencent aussi les performances de l'équipe », explique Toon Torbeyns.

Beaucoup d'entreprises ont encore une organisation traditionnelle, comparable à celle des anciennes armées, avec des équipes composées en fonction d'une seule tâche spécifique : infanterie, cavalerie, comptabilité, marketing, ... « Ça fonctionne bien quand le produit ou le service que vous proposez reste stable et que le marché dans lequel vous opérez ne change pas beaucoup ou, pour utiliser une terminologie militaire, à l'époque de Napoléon, quand on convient de l'endroit où l'on va se livrer bataille et quand la couleur de la tenue de l'adversaire est différente de la vôtre. C'est très facile alors pour le commandant d'avoir une vue d'ensemble. Mais ça marche moins bien pour les entreprises dans le monde VUCA (Volatile, Uncertain, Complex et Ambiguous) actuel où l'on attend des réactions rapides et continues aux changements sur le marché. Les équipes fonctionnelles s'occupent uniquement d'un aspect précis d'une chaîne de valeur très fragmentée et sont de ce fait très dépendantes des autres en dehors de l'équipe, ce qui provoque inefficacité et frustrations. Les membres de l'équipe ont si peu d'impact sur l'ensemble qu'ils perdent le lien avec le résultat final et le client final de leur société. Et la batterie se décharge alors lentement mais sûrement. »

 

Vers de nouvelles formes d'organisation

Toon Torbeyns estime que les organisations, à partir d'une analyse approfondie des défis extérieurs et du fonctionnement interne, doivent oser davantage rassembler des équipes autour d'un processus clé ou de la chaîne de valeur de l'organisation afin de voir vraiment à quoi sert leur travail dans cette chaîne de valeur. « Un travail utile est en effet une des cinq caractéristiques d'une équipe performante si l'on en croit de nombreuses études. Idéalement, ces équipes doivent aussi autant que possible être responsables elles-mêmes et ensemble de l'organisation et de l'exécution de leurs tâches. Le département financier d'un retailer belge est par exemple passé de 64 petites équipes fonctionnelles à 11 grandes équipes seulement. Chaque équipe multidisciplinaire assure les services de A à Z pour une seule société du groupe. Le secteur des soins évolue aussi vers ces modèles d'organisation avec un travail plus utile, des responsabilités partagées et un leadership lui aussi partagé. Ces modèles d'organisation existent, mais cela s'arrête hélas bien souvent là… »

 

Pourquoi les équipes autonomes peuvent-elles aussi échouer ?

« Ce n'est pas parce qu'un travail autonome en équipe est structurellement possible que ça marche nécessairement », explique Toon Torbeyns. « J'observe souvent un grand nombre de traumatismes après le passage à des équipes autonomes et multidisciplinaires et des gens qui sont livrés à leur propre sort. Ils ont perdu leurs repères et leur confiance dans leurs propres compétences et celles de l'équipe. » Or, cette confiance mutuelle est une autre caractéristique d'une équipe performante : les membres de l'équipe doivent pouvoir compter sur l'exécution efficace d'une tâche et le respect d'un délai. « Mais peut-on réellement compter là-dessus quand vous passez subitement d'un modèle de type « command & control » à une équipe autonome dont la composition n'est plus non plus la même que l'ancienne équipe à laquelle vous étiez habitué  ? Les collaborateurs ne le savent pas à ce moment-là. »

Et en tant qu'organisation, vous n'êtes donc en réalité alors qu'à mi-chemin. L'accent doit alors à nouveau passer du contexte – le modèle d'organisation de ce cas - à l'individu. Beaucoup de collaborateurs n'ont pas l'habitude d'être autonomes. Transformer une oie apprivoisée en canard sauvage n'est pas évident, mais il y a moyen de faire progresser tout le monde vers l'autonomie. En apprenant des aptitudes comme l'auto-management, l'écoute, la formulation de feed-back, la gestion des conflits (les conflits étant auparavant laissés à l'étage supérieur) et la résolution participative des problèmes.

Pour Toon Torbeyns, un tel changement intégral peut facilement prendre deux à trois ans. « Vous voyez alors vos équipes prendre progressivement de l'autonomie. Leur implication augmente, elles prennent plus d'initiatives et il y a un lien plus fort avec la mission et les clients de l'organisation. »

Kristof Vermeir

 Les gens sont souvent coincés entre les nouveaux modes de travail et l'ancien style de management. 

Kristof Vermeir, du groupe Freestone, adapte les lieux de travail aux nouveaux modes de travail et accompagne les équipes dans leurs nouveaux environnements de travail.

Consultant en Facility & Workplace Management – en mission actuellement chez Proximus – Architecte 

Comme Toon Torbeyns, Kristof Vermeir voit souvent du travail à moitié terminé dans sa spécialisation, à savoir le réaménagement des environnements de travail. Avec une grande quantité d'énergie négative à la clé. « Des murs sont redisposés, du mobilier est rénové et différentes technologies sont installées pour permettre l'activity based working : principe qui veut que les collaborateurs choisissent eux-mêmes le lieu de travail qui convient le mieux pour la tâche qu'ils vont exécuter. Cette réorganisation du lieu de travail se fait du reste le plus souvent par pure nécessité, parce que les entreprises, en raison des files et des frais de location et d'énergie, ne peuvent plus se permettre de donner un bureau personnel à chaque travailleur. Beaucoup de sociétés attendent du reste que la réorganisation physique du lieu de travail amène d'elle-même de nouveaux modes de travail, avec y compris plus d'autonomie. Mais une culture d'entreprise ne change pas comme ça spontanément. »

Et c'est ainsi que des collaborateurs se retrouvent coincés entre les nouveaux modes de travail d'une part et un ancien style de management d'autre part. « Ils sont censés travailler de manière autonome à la maison, mais leur manager veut être en cc de chaque mail. Ce manque de confiance mine l'énergie et amène par exemple les télétravailleurs à surcompenser, à travailler plus qu'ils ne le feraient au bureau parce que votre patron ou vos collègues pourraient penser que vous tondez la pelouse pendant les heures de bureau… »

« Mais où est le problème dans ce cas ? Pourquoi ne pourriez-vous pas jardiner une heure au jardin en pleine journée quand il fait beau et faire votre travail le soir ?  N'est-ce pas là précisément la définition des nouveaux modes de travail où vous décidez quand, comment et où vous travaillez ? »

«Pour prévenir les fuites d'énergie, une organisation doit donc non seulement penser aux plans au sol et outils au moment de réaménager les espaces de travail, mais idéalement aussi à un trajet de changement pour ses collaborateurs. Plans, outils et comportement donc. »

 

Fini l'encombrement, bonjour l'énergie

Indépendamment de la culture organisationnelle et du style de management, notre lieu de travail physique a aussi un impact sur notre niveau d'énergie. « J'ai vu beaucoup de personnes devenir tristes à mourir et totalement improductives dans des bureaux paysagers en raison d'une agitation trop importante autour d'eux. Le récent indice Leesman® montre du reste que le plus important pour les travailleurs est de pouvoir travailler de manière concentrée sur un lieu de travail (92 %). »

L'activity based working avec ses clean desks typiques constitue dans ce cas un pas en avant. « Comme vous devez laisser votre lieu de travail vide, vous vous sentez aussi davantage obligé de terminer votre travail. Fini de reporter au lendemain et fini aussi le désordre dans votre tête. Et moins il y a de désordre, plus il y a de potentiel pour de l'énergie positive. »

 

La nostalgie des espaces fumeurs

L'activity based working a toutefois aussi son revers selon Kristof Vermeir. « Avant, les gens étaient avec leur équipe sur leur propre île. Cela pouvait parfois être frustrant en raison du manque de contact avec l'extérieur, mais aussi rassurant pour beaucoup (ndlr. le sentiment de sécurité est une autre des cinq caractéristiques des équipes performantes). Avec l'activity based working, les relations au sein de l'équipe même sont souvent moins fortes. Si certains s'en contentent, d'autres ont plus de mal. Ils sont perdus sans les visages familiers, sans les gens auxquels ils pouvaient s'adresser pour poser une question et auprès de qui ils pouvaient toujours apprendre quelque chose. Tout cela est beaucoup plus difficile par mail. » Même si les collaborateurs sont plus connectés que jamais, il y a donc un risque, selon Kristof Vermeir, qu'ils se sentent moins liés avec leurs collègues et par extension l'organisation et sa mission du fait de l'activity based working et de la diminution des possibilités de contacts informels.

Faut-il pour autant un lieu de travail propre avec les photos des enfants et une plante verte, Kristof Vermeir en doute. « Mais le fait est que les entreprises cherchent des alternatives pour maintenir le lien qui risque en partie d'être perdu avec l'activity based working. Pensez à Facebook pour entreprises, aux intranets, aux totems et aux gadgets d'équipe. Trouver l'équilibre entre flexibilité et attachement, entre autonomie et indépendance est un exercice difficile pour les entreprises et les collaborateurs. Pourquoi ne pas organiser plus souvent des réunions au café, dans le parc ou à la bibliothèque ? », suggère Kristof Vermeir. « Cela ne donnerait-il pas le meilleur coup de boost à notre attachement et à l'énergie collective ? »

5 conseils pour booster l'énergie dans votre équipe

Conseils

pour les membres de l'équipe, les chefs d'équipe et les équipes

Détectez les « fuites d'énergie »

Comme une équipe représente un ensemble complexe de personnalités et que votre propre niveau d'énergie a un impact sur celui de votre équipe, il est important de savoir par où fuit votre propre batterie. Identifiez ce qui vous stresse et comment vous le gérez. Cela pourra vous permettre de réduire un certain nombre de facteurs de stress ou à tout le moins d'apprendre à les gérer autrement.

Faites-vous confiance et faites confiance à vos collègues

Choisissez vous-même (parmi les possibilités) les tâches que vous allez faire vous-même, ainsi que le moment et l'endroit. Faites confiance à vos choix et à ceux de vos collègues.

Réduisez le désordre

Au bureau, dans les plannings journaliers et les boîtes mails. Moins il y aura de désordre, plus il y aura du potentiel pour de l'énergie positive.

Faites des choix ensemble

N'acceptez pas que l'on vous dise « il n'y a pas d'autre solution ». Si une équipe ne peut effectivement rien changer à une crise, à un changement sur le marché ou à un nouveau manager, elle peut par contre faire ses propres choix à un tas d'autres niveaux.

Allez au café

Faites de temps à autre une séance de brainstorming au café ou une réunion au parc et découvrez tout ce que cela peut apporter à l'énergie de votre équipe. Testé et approuvé par les étudiants en blocus.

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