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Comment réussir votre transition vers l'économie circulaire en tant qu'entreprise ?

Les consommateurs attendent des fournisseurs de produits ou prestataires de services qu'ils agissent contre les changements climatiques. Mais quelle approche adopter à court et long termes ? Et comment faire pour mobiliser tout le monde au sein de votre entreprise ? C'est ce que nous avons demandé à Evy Puelinckx, la grande dame de l'économie circulaire en Belgique.

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« Il ne faut pas attendre des solutions pour les changements climatiques et des mesures pour une économie circulaire de la part du politique. »  

Ces mots sont ceux d'Evy Puelinckx, architecte, professeure d'université, entrepreneuse sociale et, surtout, grande militante pour l'économie circulaire. Résolument polyvalente, elle tisse des liens entre les mondes industriel, universitaire et gouvernemental en espérant voir ces parties se polliniser mutuellement et travailler concrètement sur la circularité et la durabilité. 

Evy Puelinckx : « Pour le climat, il est déjà minuit cinq. Le modèle linéaire de production et de consommation n'est vraiment pas tenable, mais il ne faut pas compter sur de quelconques lois ou mesures gouvernementales pour accélérer la transition vers une économie circulaire. Espérer un consensus politique rapide à ce sujet est pour ainsi peine perdue. Je le vois très bien en tant que membre du Conseil du climat, la volonté est là, mais il faut longtemps avant que tout le monde daigne regarder dans la même direction. C'est donc au monde industriel d'agir. Les entreprises sont beaucoup plus flexibles et c'est aussi ce que leurs clients attendent d'elles. »

Cela est du reste confirmé par une récente étude mondiale d'AXA. Notre enquête annuelle Future Risk a ainsi montré que les changements climatiques représentaient aujourd'hui la principale préoccupation des consommateurs. La pollution arrive même avant la crainte d'une nouvelle pandémie au niveau mondial. Pour éviter la catastrophe climatique, les clients comptent sur les entreprises qui doivent tout mettre en œuvre pour agir et produire de manière plus durable, en polluant le moins possible. Et elles doivent clairement aller plus loin dans ce cas que les petites « rustines » durables pour la forme. Pas question de greenwashing donc. 

Evy Puelinckx : « Les entreprises ont tout intérêt à écouter leurs clients et leurs travailleurs. Chasse aux talents ou fidélisation des clients, cela revient au même. Les gens préfèrent travailler pour et acheter auprès d'une organisation dont ils peuvent être fiers. Une entreprise qui agit vraiment dans un souci de durabilité et prône la production circulaire obtiendra plus vite l'engagement de prospects et candidats de valeur. Rien que pour ça, l'ensemble du monde de l'entreprise devrait déjà effectuer la transition vers l'économie circulaire. »

Le modèle circulaire stimule l'innovation

« Le modèle circulaire ne permet pas seulement une utilisation plus efficace de nos ressources et une réduction de l'impact de la production et de la consommation sur l'environnement. Il génère aussi de l'emploi et permet de faire des économies sur les budgets. » Evy Puelinckx

L'économie circulaire est un modèle de production et de consommation en vertu duquel les produits, les matériaux sources et les composants peuvent être utilisés le plus longtemps possible et avec une qualité aussi grande que possible. Cela signifie qu'il faut constamment faire des choix durables, de la conception et fabrication au démantèlement ou au réemploi en passant par l'exécution et la vente. Cela oblige les entreprises à penser autrement et même à revoir leur business model. Les fabricants circulaires veillent ainsi - dès la conception - à ce que leurs produits soient réparables ou réutilisables. Ils proposent que leur produits sont couverts par la garantie pour une plus longue période de temps. Ou ils louent ou partagent leurs produits pour - une fois qu'ils sont « usés » - les reprendre et les démanteler et réutiliser les matériaux résiduels. 

Evy Puelinckx : « Un designer ou un fabricant circulaire voit plus loin. Il opte pour un design réfléchi et pour des matériaux à haute valeur de recyclage. Il veille à ce que le produit soit facile à entretenir, réparer et upcycler. Et il ne fournit que ce que le consommateur attend vraiment et dont il a vraiment besoin. Il veille aussi à ce que la facilité de réparation et l'entretien fassent partie intégrante de son produit en faisant par exemple en sorte, à travers une assurance inhérente, que les gens aient droit automatiquement à une réparation à l'achat d'un produit. Il crée ainsi plus de valeur avec un seul et même produit et limite au maximum les déchets. »

Comme un constructeur automobile qui ne proposerait donc pas des voitures à ses clients mais une mobilité sur mesure en les conduisant par exemple au travail, à l'école, pour des excursions ou des hobbys ? 

Evy Puelinckx : « Cela peut paraître utopiste, mais ce n'est certainement pas impossible. Et cela demande bien sûr de repenser pas mal de choses. Le passage à un business model circulaire a en outre souvent de grandes conséquences. Si une entreprise opte par exemple pour l'approche product as a service…, se posera alors la question de l'assurance car si ce n'est pas vous mais le constructeur qui reste le propriétaire de la voiture, qui paiera la franchise en cas d'accident ? C'est la raison pour laquelle il est important de se concerter entre secteurs. 

Mais je pense quand même que les entreprises vont vite comprendre les avantages et même les bénéfices qu'elles peuvent retirer de la pensée circulaire et de la production durable. Le réemploi ne permet pas seulement une utilisation plus efficace des ressources et une réduction de l'impact de la production et de la consommation sur l'environnement. Il génère aussi de... l'emploi et permet de réduire les budgets. »

Circularité : complexe, mais pas impossible

« Le choix durable devrait toujours être le plus sympa, le plus sexy et, à vrai dire, le seul possible. » Evy Puelinckx

Prendre-faire-consommer-jeter… est le modèle sur lequel repose le modèle économique linéaire prédominant. De grandes quantités de matériaux et d'énergie bon marché et facilement accessibles passent aujourd'hui par ce cycle. Et bien souvent, une durée de vie limitée fait que cela se produit à la vitesse de l'éclair. L'économie circulaire rompt radicalement avec ce modèle. 

Evy Puelinckx : « Mais la circularité est complexe. Prenez une brosse à dents : quel est le design le plus durable ?  C'est une des questions que je pose à mes étudiants de l'université d'Anvers. Est-ce vraiment mieux de remplacer une brosse à dents en plastique par un modèle en bambou si le matériau de base est importé de Chine ? Ne vaut-il pas mieux dans ce cas développer un modèle en caoutchouc avec des matériaux de recyclage locaux ?  Ou même passer radicalement à des comprimés à mâcher dans des petites bouteilles en verre ?

Compte tenu de cette complexité, Evy Puelinckx estime qu'on ne peut pas rendre les consommateurs responsables de l'économie circulaire. C'est aux entreprises et aux pouvoirs publics de leur rendre la vie durable. C'est à eux de faire en sorte que la consommation durable soit toujours le choix le plus sympa mais aussi et surtout le plus facile. 

Transition à long terme : chaque décision compte.

Où commencer la transition vers la circularité en tant qu'entreprise ? Comment intégrer ce nouvel état d'esprit dans ses décisions stratégiques et ses activités au jour le jour ? 

Evy Puelinckx : « C'est vrai qu'on n'introduit pas une culture d'entreprise circulaire comme ça du jour au lendemain. C'est un chemin que les entreprises doivent parcourir à deux vitesses. À long terme, il s'agit de définir et fixer une politique en analysant la situation dans son ensemble : faut-il innover, les gens doivent-ils se recycler, faut-il jeter le business model à la poubelle ? Le but est d'avoir installé un état d'esprit et une approche circulaires après cinq ans. »

  • Appliquez votre vision top-down. Installer une culture d'entreprise circulaire demande de la concentration, une vision et du temps. C'est un processus à ajuster en permanence et top-down. C'est la seule chance de réussir. C'est par exemple le CEO qui, avec son conseil d'administration, décide de ne travailler qu'avec des matériaux circulaires, même s'ils sont plus chers. Ou qui incite ses collaborateurs à imaginer des alternatives aux outils ou matériaux nocifs.

  • Mettez votre business model à l'épreuve. Mais comment concilier durabilité et bénéfices ? Comment donner forme à un business model durable ? Les entreprises peuvent s'inspirer pour cela de l'économiste Kate Raworth. Dans son best-seller mondial, Doughnut Economics : Seven Ways to Think Like a 21st Century Economist, Raworth crée un modèle économique qui réunit les dimensions sociales et environnementales dans un modèle économique simple. Cela peut servir de cadre conceptuel qui guide les gouvernements, les entreprises et les organisations sociales dans leurs décisions et leurs actions. Et les aide à relever le défi du 21ème siècle pour l'humanité : répondre aux besoins essentiels de chacun sans épuiser les ressources de la terre.

  • Testez chaque décision. Avec l'Université d'Hasselt, Evy Puelinckx travaille aujourd'hui sur un modèle de décision simplifié qui s'en inspire. Il s'agit d'un outil qui permet de tester l'impact de vos actes et décisions au regard de 4 paramètres circulaires: local, mondial, écologique et social.

  • Expliquez ce que la durabilité implique. Faites en sorte que vos acheteurs, vos concepteurs, vos travailleurs, votre personnel RH et même vos femmes de ménage sachent exactement ce que l'on attend d'eux. Donnez-leur des directives claires qui les aideront à agir de manière durable. Vous pouvez par exemple dire que les employés ne recevront qu'un fairphone, un smartphone fabriqué de manière socialement responsable et facile à réparer.

  • Facilitez la vie de vos clients. Donnez aussi des repères à vos consommateurs : donnez-leur des informations claires et objectives sur les qualités circulaires d'un produit. Veillez à briller par la simplicité : un label permettra par exemple de savoir en un clin d'œil quel produit, service ou fournisseur représente le meilleur choix. Les consommateurs pourront ainsi opter sans peine pour des produits durables. 

  • Impliquez votre responsable RSE partout. Le responsable RSE doit être impliqué dans toutes les décisions, ou du moins les plus importantes, concernant les RH, le marketing, la recherche et le développement et les opérations. Les entreprises qui n'ont pas de responsable RSE peuvent travailler avec des conseillers RSE externes ou des parties tierces. 

  • « Augmentez l'échelle » quand c'est possible. Augmenter l'échelle est le moyen le plus rapide et le plus efficace d'opérer durablement et de créer un impact positif. Les facility managers peuvent par exemple décider d'utiliser des produits de nettoyage naturels dans tous les bâtiments qu'ils gèrent. Ou de synchroniser les rénovations et de n'utiliser que des matériaux durables dans ce cadre. 

  • Employez les bonnes personnes. Pour réussir une transition circulaire, une entreprise a souvent besoin de personnes aux compétences différentes et avec un autre état d'esprit. Les RH peuvent en tenir compte dans les offres d'emploi pour de nouveaux collaborateurs ou dans l'offre de formations au personnel en place. 

  • Laissez les avant-gardistes s'exprimer. Pour réussir l'innovation circulaire, il faut des personnes qui osent innover, expérimenter et échouer. Une entreprise se rend toujours un grand service en écoutant les idées. 

  • Soyez transparent : Un récit durable n'a pas besoin de belles paroles vertes. Il se raconte de lui-même. Il est toutefois toujours utile d'être transparent quand la durabilité d'une entreprise n'est pas encore totalement en place. N'en faites pas l'économie et dites ouvertement ce que vous avez déjà réalisé et ce sur quoi vous travaillez encore.




Transition à court terme : rendez-la tangible 

« Transformer votre entreprise en une organisation circulaire est un long voyage. Mais comme tout voyage, tout commence par le premier petit pas ».

Les entreprises ne doivent pas forcément avoir un plan à long terme ou un nouveau business model prêt à l'emploi pour commencer à travailler sur la durabilité. Elles peuvent, à court terme, mettre en place des projets qui rendent l'économie circulaire tangible et significative. Des projets qui portent immédiatement leurs fruits et deviennent des exemples de réussite pour leurs collaborateurs et leurs clients qui seront ainsi encouragés à leur tour à penser et innover de manière durable. 

Il s'agit là, selon Evy Puelinckx, de la clé d'une transition réussie : laissez les gens découvrir les avantages et le plaisir de la circularité et encouragez-les de manière positive à s'y engager activement. En travaillant à petite échelle avec des choix durables, le recyclage ou l'upcycling, vous créerez automatiquement un état d'esprit pour la circularité à grande échelle. Pour faire avancer les entreprises, Evy Puelinckx a créé The Circular Agency qui collabore avec les entreprises pour élaborer un plan de projet et les aider ainsi à franchir les premières années jusqu'à ce que leur stratégie à long terme soit en place. L'agence organise aussi des laboratoires de fabrication, des team buildings, des modèles de choix durables et des projets d'urban mining qui plantent les graines d'un nouvel état d'esprit dans l'entreprise.

Evy Puelinckx : « Les projets à petite échelle peuvent avoir un grand impact. Prenez les cadeaux d'affaires. Pour KBC, nous avons réalisé, avec The CircularAgency, de jolies housses pour laptops à partir d'anciennes bannières promotionnelles de la banque. La banque a ainsi non seulement donné une seconde vie à ses bannières, mais en a aussi fait des gadgets très convoités qui véhiculent leur histoire circulaire auprès des employés, des clients et des partenaires. C'est là tout le but de l'entreprise durable : travailler de manière très concrète, pratique et surtout continue. Votre service marketing ne doit ainsi plus non plus se casser la tête en matière de communications. Vous n'avez même pas besoin d'inventer votre histoire : tout est dans vos actes. »

  • Laissez les gens faire leur propre expérience. À travers des team buildings et des laboratoires de fabrication, tout le monde, du manager à l'ouvrier, fabrique de nouveaux produits à partir de matériaux résiduels. Ils voient ainsi les déchets comme un cadeau et apprennent à voir les matériaux usagés comme une source brute. Et vous créez de nouveaux objets, intérieurs ou événements circulaires, précieux et souvent surprenants. Cela peut ensuite être étendu à d'autres initiatives en interne à un stade ultérieur. 

  • Établissez un masterplan pour 3 ans. Effectuez un quick scan de votre société et voyez où il est possible de réaliser des quick wins. Passez par exemple à des produits d'entretien naturels. Établissez un plan par étapes dans lequel vous précisez clairement ce qu'il convient de faire avec les meubles de bureaux, PC ou smartphones usagés. 

  • Urban mining : échangez les flux de déchets. En vertu de l'urban mining, une société propose ses déchets à quelqu'un capable de leur donner une seconde vie. Evy accompagne dans ce cadre des entreprises qui rénovent et réaménagent. Evy Puelinckx : « L'année dernière, nous avons par exemple aidé de nombreuses victimes de la catastrophe naturelle en Wallonie à reconstruire leur maison en réutilisant des matériaux provenant de bâtiments existants. Mais ces matériaux peuvent également être utilisés par une entreprise comme matière première pour l'aménagement du nouveau coin café par exemple. »

  • Enthousiasmez votre environnement. Le plus important est de susciter l'enthousiasme des gens. Cela peut se faire à travers des petits projets qui stimulent l'imagination, comme les housses pour ordinateurs portables fabriquées à partir de bannières de façade mises au rebut. 


Sur la bonne voie

Plusieurs étapes positives en matière de durabilité ont été franchies ces dernières années. Les Objectifs de Développement Durable de l'ONU ont ainsi mis des questions sociétales et durables à l'agenda et il y a le Green Deal européen qui vise à transformer l'UE en une économie à la fois moderne, compétitive et efficace en termes de matières premières.

Evy Puelinckx : « Il y a encore pas mal de pain sur la planche avant de pouvoir devenir le premier continent climatiquement neutre et attendre une législation ou réglementation ou encore de l'aide de l'extérieur ne nous fera pas avancer. C'est aux industries et aux entreprises d'adopter dès à présent une attitude claire par rapport à leurs propres travailleurs, aux clients et aux stakeholders. Et de traduire une politique durable dans de petites et grandes initiatives concrètes. Et cela ne peut fonctionner que si l'état d'esprit au niveau de la direction est bon. »

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Qui est Evy Puelinckx ?

En plus d'être architecte, designer et professeure d'université, Evy Puelinckx est aussi une entrepreneuse sociale, auteure et conférencière passionnée. La durabilité et la circularité représentent le fil rouge de tout ce qu'elle fait depuis sa plus tendre enfance. Que ce soit en tant que consultante, enseignante ou formatrice en entreprise, son but est que les gens fassent personnellement l'expérience des possibilités qu'offre le modèle circulaire. À travers sa société de consultance et de design, elle offre une valeur ajoutée aux autres entrepreneurs à travers le « story-doing » et non le « story-telling ». Elle aide les entreprises à analyser les matériaux et les procédures et leur montre les opportunités. Parmi les entreprises avec lesquelles elle collabore ou a collaboré, figurent notamment Tomorrowland, IKEA, Samsung, Telenet, BondZonderNaam, ...

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